Je vois régulièrement dans mon bureau des gens qui sont depuis longtemps séparés que leur époux ou épouse mais qui n’ont jamais intenté des procédures de divorce. Sans juger les motifs qui peuvent motiver une personne à ne pas divorcer malgré la séparation et souvent les nouvelles fréquentations, voici quelques bonnes raisons de divorcer, gracieuseté d’une notaire ayant vu bien des complications causées par l’absence d’un jugement de divorce :
Parce que vous ne pourrez peut-être pas acheter le condo de vos rêves avec votre nouvel amour
Vous êtes séparé depuis plusieurs années et avez refait votre vie avec une nouvelle personne. Vous avez enfin déniché le condo de vos rêves que vous désirez acquérir avec cette nouvelle personne. Mais! Vous n’avez pas divorcé de votre ex que vous aviez marié alors que vous étiez tous les deux domiciliés dans un pays où le régime matrimonial par défaut est la communauté de biens. Vous n’avez pas non plus fait de contrat de mariage. Votre ex habite toujours dans ce pays ou bien il habite au Québec mais vous n’avez plus aucun contact. Peut-être ignorez-vous-même où votre ex habite.
Mauvaise nouvelle : vous ne pourrez pas acquérir le condo avec votre nouvel amour. Le condo devra très probablement être au nom de votre nouvel amour seulement. Pourquoi? Parce que votre ex deviendrait automatiquement propriétaire d’une partie du condo si votre nom est sur les titres de propriétés. Si vous devez hypothéquer le condo pour l’acheter (comme la plupart des gens), la signature de votre ex sera requise au contrat d’hypothèque avec la Banque. Sa signature sera aussi requise pour toute transaction subséquente sur le condo : renouvellement hypothécaire, vente, etc.
Parce que vous ne voulez pas que votre ex devienne automatiquement propriétaire de la moitié de vos biens
Vous êtes donc toujours marié avec votre ex sous le régime de la communauté de biens tel qu’établi par les anciennes règles du Code civil du Bas Canada ou par les lois d’un autre pays. Plusieurs pays disposent encore de règles faisant en sorte que les époux, du fait même du mariage, partagent la propriété de leurs biens. Ce sont parfois des communautés universelles, auquel cas tous les biens des époux sont partageables, sans exceptions. Par exemple, en l’absence d’un choix contraire, les gens mariés au Rwanda se verront soumis au régime de la communauté universelle. Ce sont parfois des communautés réduites, auquel cas plusieurs biens ne seront pas partageables (par exemple, les biens acquis par succession ou donation d’un de ses parents). On retrouve de tels régimes de communautés réduites dans certains pays de l’Europe de l’est comme la Roumanie et la Bulgarie.
Conséquences? Votre ex devient automatiquement propriétaire de 50% des biens dont vous êtes propriétaires, sauf exceptions. Si vous décidez finalement de divorcer, il ne faudra pas oublier dans le partage de vos biens que votre ex vous cède tous ses droits dans les biens que vous avez acquis depuis la séparation. Vous devrez également demander dans le cadre des procédures de divorce que tout partage soit effectué non pas à la date du divorce mais à la date de votre séparation. Et si vous décédez sans être divorcé, la moitié de vos biens risque d’aller à votre ex même si par testament, vous aviez légué tous vos biens à une autre personne.
Parce que vous ne voulez pas partager la valeur de vos biens acquis après la séparation avec votre ex
Vous êtes toujours marié avec votre ex mais vous n’êtes pas mariés sous un régime de communauté de biens. En effet, vous êtes régis par la loi québécoise (société d’acquêts) ou vous avez fait un contrat de mariage précisant que vous êtes mariés en séparation de biens.
Vous avez de la chance! Ce ne sont que certains de vos biens dont la valeur est partageable avec votre ex.
Dans ces 2 cas, le patrimoine familial fait en sorte que la valeur des résidences familiales, des véhicules et des REER est partageable avec votre ex. Votre ex a droit à la moitié de la valeur de ces biens dont vous êtes propriétaire si vous décédez ou si vous décidez de finalement divorcer, sous réserve de certaines déductions. Plus le temps passe, plus ces biens prendront de la valeur et le montant à payer à votre ex pourra être important. Encore une fois, il sera important de demander dans le cadre des procédures de divorce que tout partage soit effectué non pas à la date du divorce mais à la date de votre séparation. En espérant qu’il n’y ait pas un conflit sur la date de la séparation! Voir par exemple http://citoyens.soquij.qc.ca/php/decision.php?ID=49EC1C5D3ADEBFD4C91823B53311A8BC&page=1 où Madame a obtenu le partage de la valeur du chalet même si Monsieur l’avait acquis après la séparation.
Dans le cas de la société d’acquêts, il faudra de plus partager la valeur de tous les biens acquis avec le produit de votre travail au cours de votre mariage. L’argent dans votre compte de banque pourrait être partageable.
Dans tous les cas, votre ex aura la possibilité de renoncer à ces partages si vous décédez ou lorsque vous divorcerez. Le fera-t-il ?
Parce que vous ne voulez pas que votre ex hérite de vos biens
Par malchance, vous décédez sans avoir obtenu votre divorce. Il y a de fortes chances que votre ex hérite de vos biens ou d’une partie de ceux-ci même si telle n’était pas du tout votre volonté!
Si vous aviez fait un testament par lequel vous léguiez tous vos biens à votre ex mais que vous ne l’avez jamais modifié avant votre décès, votre ex héritera tel que mentionné dans ce testament. La simple séparation de fait n’invalide pas le testament, contrairement au jugement de divorce. Une fois le divorce prononcé, tous les legs faits à votre ex dans votre testament sont automatiquement annulés, tout comme sa nomination comme liquidateur de votre succession.
Si vous n’aviez pas fait de testament, votre ex héritera d’une partie de vos biens, soit avec vos enfants (un tiers), soit avec vos parents et vos frères et sœurs (deux tiers). Évidemment, si vous avez un nouveau conjoint de fait, il n’aura rien.
Certes, votre ex aura la possibilité de renoncer à votre succession. Mais le fera-t-il ?
Parce que vous ne voulez pas que votre nouvel amour doive régler votre succession avec votre ex
Par malchance, vous décédez sans avoir obtenu votre divorce et vous avez des enfants mineurs issus de votre union avec votre ex et de votre nouvelle union avec votre conjoint de fait. Vous êtes copropriétaire de votre maison avec votre nouveau conjoint.
Vous n’aviez pas pris la précaution de faire un testament. Ainsi, votre ex héritera du tiers de votre moitié de la maison et vos enfants mineurs hériteront des deux tiers de votre moitié de la maison. Votre nouveau conjoint devra donc régler votre succession avec votre ex. Ils devront ensemble décider de nommer un liquidateur de la succession ou s’ils ne peuvent s’entendre, demander au tribunal d’en nommer un. Votre nouveau conjoint devra probablement racheter la part de votre ex dans la maison que vous aviez pourtant achetée ensemble, sans doute avec l’intention qu’il puisse y rester et élever vos enfants si quelque chose vous arrivait.
Comme vous êtes tout de même prudent, vous avez fait un testament dans lequel vous léguer tous vos biens à votre nouveau conjoint et à vos enfants mineurs et dans lequel vous nommez votre nouveau conjoint comme liquidateur de votre succession. Il reste toutefois la question du partage du patrimoine familial et de la société d’acquêts à régler entre votre ex et votre nouveau conjoint. Celui-ci pourra se voir obligé de payer des sommes importantes à votre ex avant d’hériter et avant que vos enfants n’héritent. De plus, si l’un de vos enfants mineurs est issu de votre mariage avec votre ex, c’est votre ex qui le représentera dans votre succession.
Parce que vous voulez pas devoir payer les dettes de votre ex après son décès
Vous êtes séparé de votre ex depuis longtemps. Celui-ci décède sans avoir fait de testament ou sans avoir modifié son testament vous nommant comme héritier. Comble de malheur, votre ex a connu des problèmes de santé ou de jeu qui l’ont mis dans une situation financière très difficile. Il a donc beaucoup plus de dettes que de biens et peut-être même n’a-t-il plus de REER, les ayant encaissés pour subvenir à ses besoins vu ses problèmes.
De votre côté, vous n’êtes évidemment pas intéressé d’assumer les dettes de votre ex. Vous désirez renoncer à sa succession et vous débarrasser de ces problèmes qui vous tombent dessus. Certes, vous pourrez renoncer à la succession de votre ex et remettre le dossier au Ministère du Revenu, direction des biens non réclamés. Une des premières vérifications du Ministère du Revenu une fois saisi du dossier sera de s’assurer que le partage du patrimoine familial et de votre régime matrimonial est fait. Le Ministère du Revenu vous obligera à lui divulguer les biens dont vous êtes propriétaire qui peuvent faire l’objet d’un tel partage : résidences, autos, REER, etc. Vous devez donc vous assurer AVANT de renoncer à la succession de votre ex criblé de dettes que vous ne lui devez pas un montant en raison du partage du patrimoine familial et de votre régime matrimonial (société d’acquêts par exemple). Si oui, vous devriez peut-être procéder au règlement de la succession de votre ex vous-même et assumer ses dettes malgré tout.
Conclusion
Le fait de ne pas divorcer comporte donc plusieurs inconvénients au niveau légal et financier qui pourront grandement vous compliquer la vie. Si vous décidez toutefois de ne pas divorcer malgré votre séparation, votre notaire peut vous aider à minimiser les impacts de ce choix en rédigeant votre testament d’une manière la plus complète possible ou encore en préparant un contrat de mariage établissant la séparation de biens comme régime matrimonial. On parle bien ici d’une minimisation et non pas d’une suppression totale de ces inconvénients.
Rappel final : le jugement de divorce n’est valide qu’après l’expiration d’un délai de 30 jours de sa prononciation. N’attendez pas d’être trop vieux pour divorcer. Imaginez que votre ex décède quelques jours à peine après le jugement de divorce… Et oui, ça arrive dans la vraie vie !